La cathédrale Notre-Dame
de Bayeux
Retrouvez grâce à cette frise chronologique, les éléments historiques de la cathédrale.
Les grandes étapes de la construction
Bayeux est une ancienne ville romaine, qui a reçu dès le IVe siècle son premier évêque (saint Exupère). Les plus connus des évêques du haut Moyen Âge sont saint Loup, saint Vigor et saint Régnobert. Dans l’actuelle commune de Saint-Vigor-le-Grand, près de Bayeux, on conserve encore un trône épiscopal et une cuve baptismale datant de cette époque. En revanche, il ne reste rien des églises qui formaient alors le « groupe cathédral ». C’est seulement au XIe siècle qu’a été construite (ou reconstruite) une grande cathédrale, dans le style roman.
La cathédrale romane (XIe et XIIe siècle)
La cathédrale romane a été édifiée sous deux évêques appartenant à la famille des dus de Normandie : Hugues d’Ivry (1015-1049) et Odon de Conteville, demi-frère de Guillaume le Conquérant (1050-1097). Cet édifice était aussi vaste que la cathédrale actuelle. Il en reste encore plusieurs éléments : la crypte et les tours de façade, rhabillées à l’époque gothique. La construction de la cathédrale romane a été grandement facilitée par les conséquences de la conquête de l’Angleterre, racontée par la Tapisserie de Bayeux (en réalité une broderie), dont Odon fut le commanditaire. Odon devint l’un des plus riches seigneurs de l’Angleterre et en fit bénéficier sa ville épiscopale. La cathédrale fut solennellement dédicacée le 14 juillet 1077.
Cette cathédrale romane fut en grande partie détruite en 1105, lors de la guerre civile opposant les fils de Guillaume le Conquérant. On commença à la reconstruire rapidement, toujours en style roman et de cette campagne subsistent les grandes arcades de la nef, avec un décor très intéressant, et notamment les écoinçons. Plus tard, dans la seconde moitié du XIIe siècle, les travaux allaient se poursuivre dans le nouveau style gothique, venu d’Île-de-France.
La cathédrale gothique (XIIIe siècle)
La cathédrale de Bayeux est pour l’essentiel une cathédrale gothique du XIIIe siècle. À cette époque, et pendant la suite du Moyen Âge, l’édifice abrite alors un important chapitre de chanoines séculiers, dont l’effectif va se fixer à 48 membres, sans compter de nombreux « clercs de chœur ». Les chanoines assurent tous les jours l’office divin, dans le chœur, où ils ont chacun leur « stalle ». Ils se réunissent aussi dans la salle capitulaire, aujourd’hui bien conservée (ce qui est exceptionnel en France). Les chanoines ne vivent pas en communauté, mais possèdent chacun une maison canoniale, dont beaucoup subsistent encore de nos jours, dans les rues proches de la cathédrale : « rue des Chanoines » et « rue de la Maîtrise ».
La cathédrale gothique fut édifiée en plusieurs étapes à partir de 1204, date de la reconquête de la Normandie par le roi de France Philippe Auguste (1180-1223). La plus grande partie de l’édifice fut cependant construite sous le règne de Saint Louis (1226-1270) et sous les évêques Robert des Ablèges (1206-1231), Thomas de Fréauville (1233-1238), Guy (1240-1259) et Odon de Lorris (1263-1274).
Le chœur a été commencé dans les années 1220 et terminé dans les années 1240. Se rattachant au « style gothique premier », il est tout à fait caractéristique de « l’art gothique normand », qui s’épanouit alors dans la province (notamment au chœur de Saint-Étienne de Caen et à la cathédrale de Coutances). Il comprend une élévation à trois niveaux : grandes arcades, galerie du triforium très ornée et fenêtres hautes.
Quand le chœur est achevé, on s’attaque immédiatement à la reconstruction de la nef, dans les années 1240-1260. L’architecte a l’idée de conserver le premier niveau roman, avec son décor si caractéristique, et d’y ajouter un seul niveau gothique (au lieu des deux qu’il aurait dû réaliser normalement). C’est une idée de génie qui permet un harmonieux « mariage » entre le roman et le gothique. À l’étage gothique, sont ouvertes de très grandes fenêtres, conformes aux canons du nouvel « art gothique rayonnant ». Cette nef de Bayeux, très réussie, sera souvent imitée par la suite.
Vers la même époque, on « rhabille » les tours romanes de la façade occidentale. On les surmonte de flèches (culminant à 73 et 75 mètres). On plaque devant les portes cinq portails, dont trois sont sculptés. Sur les deux tympans qui subsistent sont représentés la passion du Christ (portail nord) et le jugement dernier (portail sud). Sur le côté de la cathédrale, le croisillon sud possède également un portail dont le tympan figure le martyre de saint Thomas Becket.
Les travaux des XIVe et XVe siècle
À la fin du XIIIe et au début du XIVe siècle, on construisit les chapelles latérales de la nef. Puis les travaux furent en grande partie interrompus pendant la guerre de Cent Ans (1337-1453). Il faut cependant signaler la construction de la bibliothèque du chapitre qui eut lieu à cette époque, sous l’occupation anglaise (1429-1436). C’est l’un des rares bibliothèques de cette nature à subsister de nos jours.
Pour la cathédrale elle-même, les travaux reprirent seulement après la guerre, sous l’épiscopat de Philippe d’Harcourt, évêque de Bayeux et patriarche de Jérusalem (1460-1479). C’est lui qui finança le premier étage de la tour centrale, édifié en « style gothique flamboyant ».
La période du XVIe au XVIIIe siècle
La cathédrale de Bayeux souffrit beaucoup des guerres de religion. Elle fut vandalisée en 1562. On détruisit alors les stalles, l’orgue, l’ensemble du mobilier et de la statuaire. L’évêque et le chapitre entreprirent de reconstituer tout ce qui avait disparu dès la fin du XVIe siècle, sous le règne d’Henri IV (1589-1610). Les nouvelles stalles furent confiées en 1589 à un sculpteur de Caen, Jacques Lefèvre. Quelques années plus tard, en 1597, le même artiste réalisa aussi le buffet de l’orgue.
Au XVIIe siècle, d’importants travaux furent entrepris par un grand évêque, contemporain de Louis XIV, François de Nesmond (1662-1715). Il fit édifier un nouveau jubé de pierre (1700) et compléter la tour centrale par un dôme confié à l’architecte Jacques Moussard (1713-1714).
Au XVIIIe siècle, des aménagements importants furent réalisés sous l’épiscopat de Pierre Jules-César de Rochechouart (1753-1776). Cet évêque remodela le chœur pour y installer un magnifique autel néo-classique confié au marbrier Jacques Adam et à l’orfèvre Philippe Caffieri (1771). Quelques années plus tard, l’évêque et le chapitre firent reconstruire le portail central de la façade occidentale, n’hésitant pas à supprimer le portail sculpté du XIIIe siècle, alors considéré comme « gothique », c’est-à-dire barbare ! On installa une nouvelle porte à deux vantaux de bois, qui porte au revers les armoiries du chapitre (un aigle à deux têtes) et celles du roi (les fleurs de lys). Par la même occasion, on fit lancer une arche de pierre à travers la nef pour soutenir la tribune de l’orgue (1775). Il s’agissait donc d’une transformation complète de la partie occidentale et des accès à la cathédrale, qui subsiste encore de nos jours.
Enfin, une nouvelle chaire de style baroque fut réalisée en 1786 par le sculpteur bayeusain Jean-Louis Mangin, sous l’épiscopat de Joseph Dominique de Cheylus (1776-1791). Cet évêque dut affronter la Révolution. Après avoir été fugitivement maire de Bayeux (1790-1791), il fut contraint de s’exiler à Jersey, où il mourut en 1797. Son successeur fut l’évêque constitutionnel Claude Fauchet, lui-même guillotiné en 1794 ! La chaire fut bientôt utilisée par les orateurs des fêtes révolutionnaires, fête de la Raison et de l’Être suprême. Puis la cathédrale fut fermée au culte, entre 1794 et 1801, date du concordat entre le pape Pie VII et Napoléon, alors Premier Consul.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la cathédrale a beaucoup moins souffert de la Révolution que des guerres de religion. Le mobilier a été conservé et même l’orgue a pu être sauvé de justesse en 1797. Après la réouverture de l’édifice au culte, il fut l’objet d’une restauration, en 1804.
Les grands travaux du XIXe siècle
Les travaux les plus importants du XIXe siècle concernent la tour centrale. Au milieu du siècle, la cathédrale se trouvait sous la responsabilité de l’architecte du gouvernement, Victor Ruprich-Robert. Dans l’esprit de l’époque, celui-ci voulait redonner à la cathédrale son aspect médiéval. En 1851, il démolit le jubé de Mgr de Nesmond. Mais cette opération entraîna un affaiblissement de la croisée et de la tour qu’elle supportait. Le ministre des Cultes décida en conséquence de détruire la tour centrale. Cette décision suscita une levée de bouclier. Sollicité, Viollet-le-Duc rédigea un rapport où il prévoyait l’écroulement de la tour, si rien d’était fait (1855). Le dôme de Moussard fut donc démonté, sous la direction de Ruprich-Robert.
Or, à la même époque, Eugène Flachat, célèbre ingénieur, supervisait la construction de la ligne de chemin de fer Paris-Cherbourg, qui passait par Bayeux. Il réussit à se faire attribuer le chantier de la cathédrale. Sous sa direction, les architectes Henri de Dion et Louis Lasvignes entreprennent de gigantesques travaux. Sans poursuivre la destruction de la tour, ils la soutiennent grâce à un impressionnant échafaudage. Ils reprennent alors les fondations des piliers de la croisée, en s’appuyant sur la roche dure, située à 9,50 m de profondeur (1857-1858). Les travaux sont terminés lorsque l’empereur Napoléon III vient visiter la cathédrale, en inaugurant la ligne de chemin de fer, le 4 août 1858.
Dès lors, on peut songer à construire une nouvelle tour centrale, pour couronner l’étage du XVe siècle, qui n’avait pas été détruit. Ce dernier étage est réalisé en style néo-gothique par l’architecte diocésain, Gabriel Crétin (1866). Il est surmonté par un dôme métallique, qui n’allait pas peser trop lourd sur la croisée du transept. La cathédrale gothique a enfin reçu ses trois tours, culminant à environ 75 mètres. C’est la configuration qui a été prévue par les architectes du XIIIe siècle. On peut considérer que la cathédrale de Bayeux est vraiment terminée au milieu du XIXe siècle.
Conclusion
Aujourd’hui, nous avons donc affaire à un édifice qui est le résultat d’une histoire complexe. Commencée à l’époque romane, la cathédrale de Bayeux est dans l’ensemble une église gothique. Comme sa construction s’étale du XIIe au XVe siècle, on y retrouve les différents styles de cet art : gothique premier, gothique rayonnant et gothique flamboyant. En réalité, la plus grande partie de la construction est concentrée dans les années 1230-1270. L’édifice présente ainsi une assez grande unité de style : c’est une cathédrale gothique du XIIIe siècle.
François NEVEUX
Professeur émérite d’Histoire médiévale
à l’université de Caen Basse-Normandie